Carole Martinez – Du domaine des murmures

Quatrième de couverture :

En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire « oui » : elle veut faire respecter son vœu de s’offrir à Dieu, contre la décision de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures. La jeune femme est emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe… Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père et ce souffle l’entraînera jusqu’en Terre sainte.

 

Mon avis :

Bien que je n’ai pas écrit de chronique dessus Le coeur cousu de Carole Martinez m’avait fait une très bonne impression quand je l’ai lu. Quatre ans plus tard, je retente l’expérience avec Du domaine des murmures. L’auteur confirme t-elle son talent ?

A 15 ans, Esclarmonde refuse de se marier et devient une recluse pour se consacrer à Dieu. Contrairement à ce qu’on pourrait s’imaginer, le roman n’est pas un huis-clos. Si une partie importante est centrée sur l’introspection d’Esclarmonde, l’auteur nous emmène hors de sa cellule et même jusqu’au Moyen-Orient, en instillant une légère touche fantastique qui relève assez de l’onirique.

Une des premières choses qui m’avait séduite avec Le cœur cousu et qui revient ici, c’est l’écriture. Les phrases ne font pas trois lignes de long, il n’y a pas de longues descriptions, il n’y a pas besoin de se concentrer ou de relire pour tout bien saisir. Pourtant, l’écriture est remarquable, poétique et chaque mot tombe juste. J’ai vraiment aimé pouvoir lire ce roman en me laissant porter par la plume de l’auteur.

La qualité de l’écriture de ce roman n’est pas son seul point fort. J’en ai parlé plus haut mais la petite touche d’onirisme mêlée à la religion (et les croisades) mais aussi à des croyances populaires plus anciennes que le christianisme donne une ambiance très appréciable.

Du domaine des murmures se passe dans un contexte différent du Cœur cousu mais les femmes restent au premier plan.  Il y a Esclarmonde, bien sûr, qui va devenir une figure spirituelle, à qui on demande conseil, à qui on fait confiance et à qui on attribue des miracles.  J’ai aimé ce personnage et la suivre dans son évolution tout au long du roman même si  je ne l’ai pas toujours comprise.

Outre Esclarmonde, on peut parler de Bérangère, cette géante aux formes voluptueuses qui semblent ressembler à une fée et qui séduit les hommes ou encore Douce, etc … Il y a aussi Lothaire et son changement qui m’ont plu. Mais y a t-il un personnage qui soit à oublier ?

C’est possible que la fin ne convienne pas à tout le monde. Pour ce qui est de mon cas, je l’ai trouvé parfaite. Elle est logique et cruelle à la fois.

Du début jusqu’à la fin, Du domaine des murmures m’aura charmée et j’aurais passé un excellent moment. Le dernier roman de Carole Martinez est sorti l’an dernier et j’espère que je ne laisserai pas passer 4 ans avant de le lire.

Quelques citations :

« Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l’oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n’imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi. »

« De mon désir, nul ne se souciait.
Qui se serait égaré à questionner une jeune femme, fût-elle princesse, sur son vouloir ?
Paroles de femmes n’étaient alors que babillages. Désirs de femme, dangereux caprices à balayer d’un mot, d’un coup de verge. « 

« Quelle différence du cri au chant ! Modulation splendide de la douleur, le chant recoud ce que le cri déchire »

« J’étais entrée dans ma cellule comme en un navire, j’y avais essuyé des tempêtes, abordé des terres inconnues, j’y avais tout perdu et tellement espéré.. Comment pouvait-on apprendre, tant changer, tant souffrir, tant vieillir, en si petit espace ? »

« Elle se moquait de la légèreté de ce sexe, dit fort, qu’un seul de ses regards suffisait à soulever, et elle riait de tant de vanité. Elle-même ne se lassait pas de son corps, dont elle découvrait les charmes dans les yeux de Martin, elle laissait enfin transparaître la grâce naturelle de ses gestes, grâce qu’elle avait contrainte jusque-là davantage sans doute par prudence plus que par pudeur. Elle avait brisé les invisibles chaînes qui l’entravaient depuis l’enfance, cette tenue qu’on lui avait imposée, et la géante s’offrait désormais aux frôlements du vent, à la fraîcheur des sous-bois, aux langues de soleil. Il lui arrivait de jouir du paysage ou même d’une petite brise égarée sous ses jupes – voluptés solitaires –, de s’accoupler avec le monde le temps d’un courant d’air. Ses mouvements déliés agitaient ses rondeurs et incitaient à l’amour, tout comme cette joie que le désir des fâcheux ne parvenait pas à étouffer, cette joie qu’il lui était difficile de contenir et qui, la débordant, fusait le jour en rires, la nuit en cris dont les merveilleux éclats embrasaient les Murmures et se fichaient dans le cœur des hommes comme des traits. » 

 

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6 réflexions sur “Carole Martinez – Du domaine des murmures

  1. Ça fait plusieurs fois que je lis des avis sur ce roman, et à chaque fois, j’en ressors ambivalente! Il me tente, mais en même temps non… Je devrais juste le lire pour me fixer 😉

  2. Je ne viens pas faire un serment d’allégeance à mon pire ennemi, mais si j’avais déjà beaucoup aimé ce livre j’ai encore plus aimé « Une autre idée du silence » de je sais pas quiiiiiiiiiiiiiii. C’est la même histoire mais elle s’élargit au village, et elle est peut-être parfois plus profonde. Sinon j’ai toujours « le coeur cousu » dans ma PAL… Et je ne sais même pas pourquoi car il ne me tente pas des masses XD

    En passant ravie de voir que tu tiens toujours ton blog, j’étais restée à l’époque où tu ne le tenais plus.

    Biz dieutesque Alf.

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